Les piétons distraits par leur cellulaire sont beaucoup plus à risque d’accident

MONTRÉAL — On savait déjà intuitivement qu’il est plus risqué de texter, lire ou même écouter de la musique en marchant que de simplement marcher en gardant son attention, mais les preuves empiriques de ce danger sont rares et souvent anecdotiques.

Une nouvelle étude réalisée par l’Université de Colombie-Britannique (UBC) avec des caméras informatiques soutenues par l’intelligence artificielle à deux intersections très achalandées du centre-ville de Vancouver fait état d’une différence marquée entre les risques que courent les piétons distraits par leur téléphone intelligent et ceux qui marchent sans distraction.

Comportements plus risqués

L’étude, publiée dans la revue spécialisée «Accident Analysis and Prevention», démontre que les piétons distraits se positionnent plus près des véhicules, se déplacent à vitesse réduite et cèdent rarement le passage aux véhicules qui approchent. De plus, ils changent rarement leur angle d’interaction sans égard à la proximité latérale des véhicules, ce qui indique qu’ils demeurent presque complètement inconscients de leur environnement immédiat.

Le niveau de distraction fait grimper le niveau de risque de manière importante. Ainsi, par exemple, les interactions entre véhicules et piétons non distraits montraient une baisse de 46,5 % de la sévérité des conflits de circulation (mesurée par la durée moyenne du «temps-avant-collision») et une augmentation moyenne de 30,2 % de la distance minimale avec un véhicule comparativement aux interactions entre véhicules et piétons distraits.

«Les piétons non distraits font des choix plus sécuritaires lorsqu’ils interagissent avec des véhicules», écrit le coauteur principal, le docteur Tarek Sayed, ingénieur et expert en sécurité des transports. «Ils maintiennent une plus grande distance des véhicules, cèdent plus fréquemment le passage au trafic et ajustent leur vitesse selon la circonstance.»

Les conducteurs méfiants

Les chercheurs ont également constaté que les conducteurs modifient leur comportement en présence de piétons distraits. Ils choisissent en effet souvent de décélérer en voyant des piétons distraits, démontrant ainsi une reconnaissance du risque potentiel.

La coautrice principale, Tara Alsharif, étudiante graduée en génie civil à UBC, explique que cette étude permet d’envisager des manières d’atténuer le risque que présentent les piétons distraits «en ajustant les cycles de signaux aux passages piétonniers ou en intégrant des signaux sonores pour indiquer aux piétons quand il est sécuritaire de traverser. Les autorités municipales pourraient aussi afficher des avertissements spécifiquement destinés aux piétons distraits par leur téléphone intelligent et possiblement même introduire des notifications mobiles qui décourageraient l’usage du cellulaire en traversant une intersection.»

Au Québec: distraction des deux côtés

Au Québec, la dernière analyse approfondie des accidents impliquant des piétons date de 2016, mais on y apprend tout de même que la distraction est de loin la cause principale des accidents causant des «dommages corporels» aux piétons, soit 64 % de ceux-ci. Certes, ce sont les conducteurs de véhicules distraits qui sont massivement responsables (à 68 %) de ces accidents, mais les proportions de ces accidents causés par un piéton distrait (15 %) ou lorsque le conducteur et un le piéton sont tous les deux distraits (17 %) ne sont pas négligeables.

Le document de 2016 de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), intitulé «Profil détaillé des faits et des statistiques touchant les piétons», fait référence à une étude australienne de 2007 sur l’observation de piétons qui utilisent ou non un cellulaire en traversant une intersection. On y apprend que «plus de 20 % des utilisateurs de cellulaire regardaient leur appareil en traversant (la plupart du temps pour envoyer des messages textes)». Là aussi, on notait que «l’utilisation d’un cellulaire influençait aussi la vitesse de marche et l’analyse de la circulation avant de traverser».

On y invoque une autre étude réalisée en 2008 portant sur le comportement de personnes utilisant soit un cellulaire, soit un baladeur ou qui n’utilisaient aucun appareil à des passages pour piétons. Sans surprise, on rapporte que «les piétons utilisant un cellulaire traversaient plus souvent de façon non sécuritaire que les piétons des deux autres groupes. Il s’agissait de près de la moitié (48 %) d’entre eux, en comparaison avec 16 % des piétons qui utilisaient un baladeur et 25 % des piétons sans appareil». On conclut donc que «l’utilisation d’un cellulaire en traversant la rue semble inhiber les comportements prudents et pourrait représenter un danger pour les piétons».

Bien que ces études datent, respectivement, d’il y a 17 et 16 ans, il y a fort à parier que ces comportements ne se sont pas améliorés et qu’au mieux, ils sont demeurés stables si l’on se fie à la dernière étude des chercheurs d’Université de Colombie-Britannique.