Le gouvernement fédéral réduit significativement ses cibles d’immigration

OTTAWA — Ottawa abaisse considérablement le nombre de nouveaux résidents permanents que le Canada acceptera durant les trois prochaines années, ce qui ralentira temporairement la croissance de la population du pays.

Le premier ministre Justin Trudeau a présenté jeudi les nouvelles cibles d’immigration comme un plan «pragmatique» visant à s’adapter à la réalité actuelle.

Ainsi, le «seul objectif» est de stabiliser la croissance démographique afin d’offrir à tous les ordres de gouvernement «le temps de rattraper leur retard, le temps de réaliser les investissements nécessaires dans les soins de santé, dans le logement, dans les services sociaux pour accueillir davantage de personnes à l’avenir», a-t-il soutenu en conférence de presse.

La cible de nouveaux résidents permanents est ainsi réduite à 395 000 en 2025, soit une diminution de 21 % par rapport à l’objectif de 500 000 fixé précédemment. Le seuil passera ensuite à 380 000 personnes en 2026, puis à 365 000 en 2027.

Ottawa s’était jusqu’ici refusé à revoir à la baisse ses cibles, décidant plutôt de plafonner le nombre de nouveaux résidents permanents.

«Ce plan est probablement le premier en son genre», a dit le ministre responsable de ce dossier, Marc Miller, puisque, pour la première fois, les immigrants temporaires sont inclus dans le plan dévoilé annuellement, chaque automne.

Ottawa compte donc réduire de 445 901 personnes le nombre de résidents non permanents en 2025. Puis, la baisse prévue est de 445 662 en 2026. Une hausse de 17 439 personnes est ensuite planifiée pour 2027. L’objectif est que les immigrants temporaires représentent 5 % de la population canadienne d’ici la fin de 2026, alors que ce groupe constituait un apport de 6,5 % en mars dernier.

Ces cibles de réduction en 2025 et 2026 incluent les travailleurs étrangers temporaires et les étudiants internationaux, mais pas les demandeurs d’asile qui sont en attente de savoir s’ils obtiennent ou non le statut de réfugié.

Québec peu impressionné

Le premier ministre du Québec, François Legault, qui exhorte depuis des mois le fédéral à réduire de 50 % l’immigration temporaire, a indiqué jeudi qu’il restait sur sa faim.

«Ce n’est pas une grosse baisse», a-t-il commenté en se rendant à la période des questions de l’Assemblée nationale.

M. Trudeau a, une fois de plus, soutenu que Québec a de nombreux leviers pour réduire l’immigration temporaire. «J’attends encore le plan de M. Legault», a-t-il déploré en faisant référence à une feuille de route provinciale qu’il a demandée en juin au premier ministre québécois.

Le ministre de l’Immigration du Québec, Jean-François Roberge, est plutôt d’avis qu’Ottawa détient le gros bout du bâton. «Ils ont pris quelques mesures pour les travailleurs étrangers, très peu sur le Programme de mobilité internationale, rien sur la répartition des demandeurs d’asile à travers le Canada. Alors j’invite M. Trudeau à faire sa part», a-t-il rétorqué.

Les nouvelles cibles fédérales sont fixées après des années d’augmentation rapide du nombre de nouveaux résidents permanents au Canada et d’un nombre croissant de personnes venant au pays sur une base temporaire. Plusieurs ministres fédéraux ont reconnu que cette hausse a exercé une pression sur le logement et l’abordabilité.

«C’est une question de nuances. On ne peut pas tout blâmer ou mettre sur les épaules des immigrants. Le sous-investissement en logement au niveau fédéral se fait depuis 30 ans», a dit jeudi M. Miller.

Le ministre fédéral de l’Immigration a indiqué que le gouvernement entend prioriser les immigrants temporaires qui sont déjà au Canada dans l’accès à une résidence permanente. Ces personnes auront droit à de meilleurs scores au moment d’être sélectionnés à travers des canaux existants tels que le programme Entrée express. «Ce n’est pas une question de sauter la file», a affirmé M. Miller.

Des fonctionnaires ont indiqué aux médias que, l’an dernier, environ 40 % des personnes obtenant la résidence permanente étaient arrivées au pays sur une base temporaire. Ces représentants gouvernementaux n’ont pas précisé à quel pourcentage ils souhaitent hausser cette proportion.

Dans les milieux d’affaires, la décision du fédéral est jugée «décevante». Elle engendrera une «diminution importante» du «bassin de main-d’œuvre» sur lequel comptent les employeurs, a écrit la Chambre de commerce du Canada.

Ottawa a annoncé au passage qu’il augmentera ses cibles d’immigration francophone hors Québec à 8,5 % en 2025, à 9,5 % en 2026 et à 10 % en 2027, soit une hausse de 1,5 point pour les deux premières années et une nouvelle cible pour la troisième.

La Fédération des communautés francophones et acadienne a salué les «efforts» d’Ottawa, mais continue de réclamer que la cible soit établie à 12 %, ce qu’elle considère être «le minimum» afin de rétablir et faire progresser le poids démographique des francophones.

Les oppositions muettes sur leur cible

Les conservateurs, les bloquistes et les néo-démocrates ont tous été incapables de préciser ce qui serait la cible qu’ils favoriseraient.

De combien le chef conservateur Pierre Poilievre baisserait-il les seuils, a demandé deux fois plutôt qu’une un journaliste lors des quatre minutes qu’il a accordées aux questions lors d’un point de presse à Toronto convoqué avec une demi-heure de préavis.

«Nous allons lier la croissance démographique au nombre de logements, à la quantité de soins de santé et aux emplois disponibles. Nous disposerons ainsi d’une formule mathématique», a-t-il déclaré.

Il a précédemment affirmé que «la volte-face, (…) les revirements préélectoraux» du gouvernement de Justin Trudeau en réduisant l’immigration ne sont rien d’autre qu’un «aveu d’échec».

Au Bloc québécois, le porte-parole en matière d’immigration, Alexis Brunelle-Duceppe, s’est réjoui de cet «important» changement de cap du gouvernement. «On va se prendre du crédit là-dessus, on va le prendre comme un gain», a-t-il dit.

La nouvelle cible demeure néanmoins «trop élevée» par rapport au poids démographique et politique du Québec dans la confédération. Que devrait-elle être? «Le chiffre sera déterminé par Québec, a-t-il dit. Je ne suis pas ici pour vous donner un chiffre.»

Elle ne respecte pas plus la «capacité d’accueil», a-t-il dénoncé, annonçant au passage que ce concept «ne se définit pas nécessairement comme chiffre».

Le chef néo-démocrate Jagmeet Singh a lui aussi fait preuve d’ambiguïté en refusant d’indiquer si les nouvelles cibles du gouvernement Trudeau lui conviennent.

«Le chiffre de l’immigration, c’est quelque chose qu’on doit toujours ajuster. C’est normal. On doit avoir un chiffre qui répond à nos besoins», a-t-il déclaré lors d’un point de presse dans un parc de Montréal.

– Avec des informations de Frédéric Lacroix-Couture à Montréal et de Patrice Bergeron à Québec