Faut-il faire le deuil des plaisirs d’hiver?
Installer les bandes, préparer le terrain, attendre la neige, puis arroser soir après soir en espérant que la nuit glaciale s’occupe du reste… jusqu’à ce qu’un redoux ne vienne tout gâcher. Alors que des experts prédisent la disparition des patinoires et que les hivers instables compliquent de plus en plus la tenue d’activités hivernales, vaut-il encore la peine d’y consacrer autant d’énergie et d’argent?
S’il n’en tient qu’à Alain Dion, directeur du service des loisirs de la Ville de Cowansville, «ça vaut encore la peine». Même si l’organisation des «Plaisirs d’hiver» a dû reporter son événement du 2 au 23 février en raison de la chaleur et de la pluie, M. Dion ne lance pas la serviette. «On est confiant qu’on ne peut pas être malchanceux deux fois!», lance-t-il.
Pour lui, comme il est impossible de prédire l’avenir, il faut continuer de fournir des infrastructures et des activités à la population. L’organisateur demeure cependant bien conscient que «la tendance fait en sorte que ça devient de plus en plus compliqué».
Un peu plus loin sur la route 139, la municipalité de Roxton Pond a mis fin à l’organisation d’activités hivernales. Sans rejeter entièrement la faute sur les bouffées de chaleur de Dame nature, la directrice des loisirs Martine Deschênes admet que cela a compté dans la décision.
«On a dû annuler plusieurs fois à cause de la température. Est-ce que ça veut dire qu’on ne va pas en refaire ultérieurement? Je ne sais pas, mais c’est la décision qu’on a prise», commente-t-elle.
Roxton Pond devait aussi composer avec la dissolution de son comité organisateur, l’essoufflement des bénévoles et une nouvelle formule plus ou moins au point, mais au final, c’est encore le manque de glace et de neige qui a apposé son veto.
Si l’on remet en question l’organisation de fêtes à grand déploiement, ce n’est pas le cas du sort des patinoires extérieures. «C’est très important pour nous. Dès que les patinoires sont prêtes, les gens sortent», affirme Mme Deschênes dont la municipalité compte trois glaces.
À Bromont, on tient aussi mordicus à offrir des patinoires extérieures aux citoyens même si l’équipe d’entretien a «perdu» les patinoires près de l’aréna et dans le secteur Adamsville trois fois depuis le 28 décembre.
«C’est un service auquel la population tient et on tient à leur fournir», insiste Élaine Plamondon, directrice des loisirs de Bromont.
Plus d’instabilité
Responsable de l’entretien des patinoires de Bromont depuis 2003, Lyne Beaudry témoigne d’un changement de paramètres. «En 10 ans, ce que j’ai observé c’est une plus grande instabilité des températures et depuis 2006, c’est encore plus notable», partage-t-elle.
Les prévisions météo de cette semaine suscitent d’ailleurs des réflexions. Lyne Beaudry s’interroge sérieusement sur la pertinence de recommencer encore à zéro si le mercure remonte à nouveau au-dessus du point de congélation.
À Cowansville, une partie de l’entretien des cinq patinoires extérieures est confiée à la sous-traitance, alors que l’autre partie du boulot revient aux employés cols-bleus. Le directeur des loisirs, Alain Dion, affirme que les glaces ont dû être refaites une seule fois jusqu’à maintenant. L’explication viendrait de la culture de prévention.
«On épaissit les glaces en conséquence et on essaie de les protéger quand le temps n’est pas idéal», précise-t-il tout en admettant qu’il faille trouver une autre solution pour permettre aux patinoires de durer.
Justement, Bromont et Cowansville sont déjà en mode solution, alors que des représentants des municipalités se sont récemment déplacés à Sherbrooke afin d’observer la patinoire extérieure réfrigérée. «C’est un choix qu’on va avoir à faire, mais c’est sûr que ça permet de prolonger la saison», fait remarquer Élaine Plamondon.
Toutefois, les coûts associés à un tel projet ont eu pour effet de refroidir les ardeurs de la municipalité. On évalue le tout à 150 000$ ou 175 000$ pour l’installation du tapis et des tuyaux refroidisseurs, plus 3 400$ d’électricité par mois d’opération, plus le coût d’entretien et d’arrosage.
Présent lors de la visite au Marché de la gare de Sherbrooke, le conseiller municipal de Bromont, Réal Brunelle a été peu impressionné par la qualité de glace. Pour la valeur de l’investissement, le conseiller a qualifié le résultat de «glace très ordinaire».
Tendance lourde
Ceux qui doutent encore du réchauffement du climat n’ont sans doute pas pris connaissance de l’étude publiée par Nikolay Damyanov, Damon Matthews et Lawrence Mysak sous le titre Observed decreases in the Canadian outdoor skating season due to recent winter warming.
Les chercheurs des universités McGill et Concordia ont publié leurs résultats en mars 2012 dans les pages du Environmental Research Letters. Sur la période 1950 à 2005, les scientifiques ont noté un retard significatif dans l’ouverture des patinoires extérieures dans le sud du Québec, ainsi qu’une réduction de la durée d’utilisation.
À l’exception de la région des Maritimes, ces constats s’appliquent à tout le Canada. Dans la conclusion de leur étude, les auteurs s’attendent à ce que le nombre de jours favorables à l’aménagement et à l’entretien des patinoires extérieures continue de décroître. Il pourrait même atteindre «zéro» dans le sud-ouest du Canada d’ici 2050.
Des relevés de températures pour la région de Granby consultés sur le portail d’Environnement Canada semblent corroborer cette tendance. Les compilations effectuées par JournalLeGuide.com indiquent que les hivers 2012 et 2010 ont été les plus chauds des 10 dernières années.
Les températures quotidiennes moyennes des mois de janvier, février et mars combinées révèlent une température moyenne de -3 degrés pour 2012 et 2010, alors que la décennie 2003-2012 affiche une moyenne hivernale de -6 degrés.